L'écoféminisme, un risque ou une chance pour le christianisme?

Introduction par Christine Kristof au colloque du 22 mai (Forum104)

avec Charlotte Luyckx, Michel Maxime-Egger, Fabien Revol, Audrey Fella.

Ecoféminisme ; un risque ou une chance pour le christianisme ?
Introduction au colloque du 22 mai au Forum104 (Paris), avec Charlotte Luyckx, Michel Maxime-Egger, Fabien Revol, Audrey Fella,

par Christine Kristof.

" En travaillant sur le numéro de la revue “Esprit de Nature” consacré au thème “Femmes, Nature et Sacré” que j'anime, j’avais déjà pris conscience de l’importance et de la complexité du sujet, ainsi que de la diversité des approches, parfois antinomiques.
Avec la lecture de l’ouvrage de Charlotte Luyckx, et de Michel Maxime Egger : « Gaïa et Dieu-e , un écoféminisme chrétien est possible »[1], je réalise combien ce sujet est crucial à la fois parce qu’il implique un questionnement radical de nos systèmes de croyances, de nos représentations et nos schémas mentaux, jusque dans l’intime, parce qu’il croise de nombreux sujets essentiels et parce qu’il représente une contribution incontournable à la mutation de notre société et une réponse large aux enjeux actuels de la crise écologique, sociale et spirituelle.

En préambule à cette table-ronde, il me semble important depréciser plusieurs points :


1- L’écoféminisme ne touche pas qu’à l’écologie ou au féminisme, mais bien plus largement à notre représentation du monde, à notre culture, en intégrant tout à la fois des dimensions philosophiques, spirituelles, éthiques, politiques…
2- Il ne s’agit pas d’opposer les femmes et les hommes, le masculin et le féminin, ni même les valeurs féminines ou masculines, maisd’interroger les formes de domination et d’oppression systémique, d’une catégorie de personnes sur les autres, d’un sexe sur un autre, d’une espèce sur les autres, d’une race sur les autres etc… tous ces « …ismes » qui nourrissent la violence et qui sont en partie responsables des dégradations actuelles du monde.
3- L’intuition qui sous-tend l’écoféminisme est, je cite, “qu’il existe des interrelations profondes – historiques et actuelles, discursives et pratiques, symboliques et structurelles, culturelles et socio-économiques – entre l’oppression de la nature et celle des femmes”[2]. Mary Judith Ress le dit bien: « L’oppression des femmes et la destruction de la planète ne sont pas deux phénomènes distincts, mais deux formes de la même violence ».[3]
4- Dans le même temps, l’écoféminisme n’est pas monolithique. Jeanne Burgart Goutal dans son ouvrage "Etre écoféministe" [4] parle “des écoféminismes” au pluriel, d’origine, de couleurs et de forme diverses, matérialistes ou spirituels… et dont les visions s’opposent parfois frontalement. Toutes ces considérations nous amènent à comprendre qu’il s’agit ici d’une question complexe, multiple et qu’il faut prendre garde à éviter les pièges de l’absolutisation et ceux du langage qui enferme.
5- En lisant l’ouvrage, j’ai pris également une conscience progressive de l’“omerta” sur ce sujet ; une omerta à laquelle je réalise me soumettre involontairement. J’ai compris que beaucoup de choses que j’ai vécu, notamment dans ma relation à l’institution et aux personnes d’Eglise, mais pas que, procède de cette distorsion, moi qui suis à la fois femme, écolo, chrétienne, sauvage, vegane, décroissante, exploratrice, chercheuse …

Cela m’attriste et me met en colère, car je me sens, malgré moi, à la fois complice et victime de cet état de fait. D’une façon générale, on n’ose pas vraiment parler de ces sujets ; « cela dérange », « cela fâche », « cela ne se fait pas »… et en définitive, cela n’arrange personne d’aborder sérieusement la question de l’écoféminisme, qui plus est de l’écoféminisme chrétien.

Il est incroyable de voir que les écrits de ces femmes, thé@logiennes, philosophes, chercheuses… qui ont pensé et vécu le sujet depuis une cinquantaine d’années, et qui sont présentées dans l’ouvrage « Gaïa et Dieu-e », le sont pour la première fois en français. Tous les textes sont des traductions originales réalisées par Michel Maxime et Charlotte. Ce livre et cette soirée sont une « première » ! J’ai le sentiment qu’une chape de plomb se lève enfin. Il était temps. Un grand Merci à Charlotte et à Michel Maxime pour ce courage, pour la prise de risque, pour ce travail considérable et essentiel !

6- Quand j’entends dire que “quand même, ça va mieux aujourd’hui, que les femmes ont désormais le droit de vote et le droit à l’avortement, que les choses ont changé … » ou encore que “c’est bien pire ailleurs, en Iran ou en Afghanistan…, (sous-entendu « dequoi se plaint-on ? » ) ; ce qui est incontestable et qu’il faut évidemment dénoncer… , je ressens ces remarques comme le signe d’une tentative de déni de réalité, ou d’une complicité inconsciente à vouloir laisser les choses en l’état. Alors que c’est justement aujourd’hui, et pour nous qui en avons la possibilité dans notre société de liberté et de droit, un impératif d’endosser cette responsabilité d’éclaireurs et d’éclaireuses, pour nos aïeules et nos descendantes, pour toutes les femmes, les peuples et les êtres opprimés, ainsi que pour sœur notre mère la Terre.

7- Dans cette palette bigarrée, l’écoféminisme chrétien tient une place particulière; il permet d’interroger les fondements et les implications de notre culture judéo-chrétienne, mais aussi grecque, cartésienne, techno-centrée etc., dont nous héritons, que nous le voulions ou pas. “L’écoféminisme questionne les religions. Il vise plus particulièrement le christianisme qui, dans certains de ses fondements (scripturaires et théologiques) et de ses incarnations (historiques et ecclésiales), est fortement imprégné du cadre conceptuel patriarcal, anthropocentrique et dualiste qui a conduit à la dépréciation et à l’oppression de la Terre et des femmes”.[5]

8- Le questionnement sain sur certains aspects du christianisme, telle que la relation au corps, à la sexualité, à la matière, à la nature, à l’immanence, au sacré…, souvent problématique, tout comme la remise en question de certains dualismes culturels qui opposent corps/âme, terre/ciel, immanence/transcendance, nature/culture…., apparaissent non seulement nécessaires, mais aussi salvateurs, libérateurs et vivifiants.
Dans le même temps, ces interrogations soulèvent, en toile de fond, la question : “Faut-il rester, et tenter de vivifier les choses de l’intérieur, ou sortir, comme ont choisi de le faire certaines femmes qualifiées de « post-chrétiennes » parce qu’elles estiment que, structurellement, il est impossible de changer les choses au sein d’une religion basée sur l’anthropocentrisme et la domination patriarcale ? Vaste question !
Pour celles qui ont choisi de rester à l’intérieur, et dont je suis, “transformer la tradition chrétienne est un impératif, si le christianisme entend garder une pertinence face aux enjeux actuels, contribuer au changement de paradigme requis par la situation et donc assumer sa responsabilité.”[6]

En conclusion, la lecture de cet ouvrage est pour moi, et je l’espère pour notre époque, une grande bouffée d’air pur, qui ouvre des perspectives d’espérance dans un monde sclérosé et augure d’une nouvelle relation au Vivant, etagit comme un facteur de libération,d’épanouissement et d’harmonie…
Les témoignages de ces femmes me donne envie de “ne plus me taire” et de retrouver
ma liberté de penser, d’agir, d’aimer, de servir au nom de ma foi et de dire : « cela suffit ! », avec fermeté et douceur.

L’enjeu majeur est de prendre congé de l’anthropocentrisme et de l’androcentrisme, avec tous les dualismes– interreliés– qui les sous-tendent, fondent et légitiment la domination des femmes et l’exploitation de la Terre”. [7] Transformer notre société en profondeur prendra du temps,mais chaque pas est important, et ce soir c’est un grand premier pas que nous, grâce au formidable travail qui a été effectué, pouvons amorcer… Merci !


[1] « Gaïa et Dieu-e , un écoféminisme chrétien est possible », Editions de l’Atelier
[2] P- 16 de l’ouvrage
[3] P- 16 de l’ouvrage
[4] "Etre écoféministe" de Jeanne Burgart Goutal, Editions l'Echappée
[5] P - 32 de l’ouvrage
[6] P - 35 de l’ouvrage
[7] P- 60 de l'ouvrage